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Cameroun : Samuel Eto’o, président de la fédération de football, sur la sellette

Au Cameroun, Samuel Eto’o ne laisse personne indifférent. Celui qui fut l’un des meilleurs attaquants du monde dans les années 2000, élu le 12 décembre 2021 pour quatre ans à la présidence de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), est depuis plusieurs semaines sur la sellette.
Le 5 février, quelques jours après l’élimination des Lions indomptables en huitièmes de finale de la Coupe d’Afrique des nations en Côte d’Ivoire (0-2), le dirigeant de 43 ans avait tout d’abord présenté sa démission au comité exécutif de la Fécafoot. Seulement, « il ne peut le faire que devant l’assemblée générale qui l’avait élu », a précisé à l’AFP Guibaï Gatama, membre suspendu par sa fédération de ce comité exécutif. « Cette démission, même si elle avait été acceptée par le comité, n’aurait pas été légale. C’est une entourloupe », juge ce journaliste.
Mais plus que cette vraie fausse démission, c’est surtout l’enquête ouverte en août par la Confédération africaine de football (CAF) sur des « comportements inappropriés présumés » et des soupçons de matchs truqués qui inquiète Samuel Eto’o et ses partisans. Le président de la Fécafoot a assuré n’avoir jamais été interrogé par la CAF sur ce qui lui est reproché et a annoncé son intention de porter plainte contre l’instance continentale.
« C’était trop facile de salir tout ce que j’ai pu construire pendant ces quelques années dans le monde du football », a estimé l’ancien avant-centre sur France 24, le 28 février. Selon lui, la CAF a eu un « comportement inacceptable » en se lançant « beaucoup trop tôt dans un communiqué ». Véron Mosengo-Omba, le secrétaire général de la CAF, que Le Monde a contacté, n’a pas répondu à nos sollicitations. Cependant, selon nos informations, les investigations de la CAF autour des faits reprochés à M. Eto’o auraient bien avancé et s’ils étaient avérés, ceux-ci pourraient entraîner sa suspension par la FIFA.
Depuis qu’il a succédé à Seidou Mbombo Njoya à la tête de la Fécafoot, l’ancien buteur des Lions indomptables, du FC Barcelone et de l’Inter Milan n’a pas tardé à se créer des ennemis. Ses vingt-six premiers mois de présidence ont été jalonnés d’affaires et de polémiques. « Ce n’est pas la première fois que la présidence de la Fécafoot est animée, mais puisqu’elle est assurée par une personnalité très médiatisée, adulée ou détestée, on en parle beaucoup », relativise Claude Bekombo Jabea, chercheur au centre d’études et de recherches en droit, économie et politique du sport à l’université de Yaoundé.
L’élection de Samuel Eto’o avait soulevé un certain optimisme au Cameroun, après des années de gestion chaotique d’une fédération plusieurs fois placée sous tutelle de la FIFA. « Il avait fait une bonne campagne, avec un projet ambitieux, suscitant beaucoup d’attentes. Mais après deux ans et demi de mandat, le bilan est décevant », constate André Kana-Biyik, champion d’Afrique en 1988.
A l’instar de nombreux Camerounais, l’ancien milieu de terrain des Lions indomptables reproche à son cadet un exercice du pouvoir trop solitaire. « Il a un ego surdimensionné, n’en fait qu’à sa tête, n’écoute personne et n’est pas bien conseillé. Résultat, on parle davantage des multiples affaires qui secouent la fédération que des avancées pour le football camerounais, qui sont assez peu nombreuses », souligne André Kana-Biyik.
Samuel Eto’o a effectivement pris des décisions controversées. Ainsi, le dirigeant avait brutalement mis fin en 2022 au contrat qui liait la Fécafoot avec l’équipementier français Le Coq sportif, lequel a porté l’affaire devant la justice, pour s’engager avec les Américains de One All Sports. Cette décision avait provoqué une brouille avec Yannick Noah, administrateur du Coq sportif. Il avait également signé à titre personnel un contrat avec 1xBet, une société de paris sportifs, avant que cinq semaines plus tard la fédération qu’il dirige fasse de même.
Mais malgré la succession d’affaires, les tensions récurrentes avec le ministre des sports Narcisse Mouelle Kombi, les internationaux André Onana ou Eric Maxim Choupo-Moting et la publication en décembre 2023 d’un livre à charge – L’Arnaque, écrit par Jean-Bruno Tagne, son ancien directeur de campagne –, Samuel Eto’o bénéficie encore de nombreux soutiens. Celui notamment du toujours très populaire Roger Milla, qui souhaite avant tout retenir « ce qui a été fait pour le football local, avec des championnats professionnels qui se déroulent de manière régulière, davantage de public dans les stades et l’amélioration du statut des joueurs, notamment au niveau du versement des salaires ».
S’il admet avoir été en désaccord avec Samuel Eto’o « sur le ton qu’il a parfois employé avec les internationaux » et aurait souhaité qu’il « associe davantage d’anciens Lions à sa mission », celui qui fut la vedette de la Coupe du monde 1990 rappelle que le président de la Fécafoot « a réglé les problèmes de primes qui polluaient la vie de la sélection ».
Des arguments insuffisants pour André Kana-Biyik, qui regrette que Samuel Eto’o ne permette pas « une présidence sereine » et « veut être à la fois président et sélectionneur ». La Fécafoot, qui a officialisé le 28 février, la non-reconduction du contrat du sélectionneur Rigobert Song, laissera toutefois au chef de l’Etat Paul Biya et au ministre des sports le soin de désigner son successeur.
Cette reprise en main politique ne surprend pas Claude Bekombo Jabea, auteur du livre L’Etat et l’équipe nationale de football au Cameroun. « C’est ainsi depuis très longtemps, précise-t-il. La fédération propose des noms et c’est l’Etat qui tranche. Le Cameroun est sans doute l’un des seuls pays au monde où la sélection est régie par décret présidentiel. »
Alexis Billebault
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